Philippe COUSIN / Artiste – 5ème jour

Les fruits confits retombent en enfance

Tout est encore paisible en Avignon, du moins en apparence. Nous aurons probablement  quelque difficulté, plus tard, à  nous rappeler à quel point le confinement a pu faire le bonheur de certains,  mais laissez-moi vous expliquer qu’il peut être aussi un moment délicieux… 

A quoi aspirions-nous, enfants, avant d’enquiller d’un seul mouvement la rentrée des classes, les études, les diplômes, la puberté, la course à l’emploi et la quête de l’âme-sœur, et ça jusqu’à un âge avancé? A ce que rien ne change. A ce que la situation s’éternise.  Au confinement, quoi. Nous étions légers comme des anges, le monde n’était que rires et jeux. Dans l’ignorance de ce qui nous attendait,   nous vivions un bonheur presque parfait. Et bien, c’est la même chose aujourd’hui: on ne nous demande rien d’autre que d’aller jouer dans notre coin et de rester sages. De régresser. Ca n’est pas très facile pour les malheureuses populations entassées dans les barres d‘immeubles et les appartements sans jardin, mais pour les autres, les fruits confits, c’est du sirop !  

Pourquoi faire la comparaison avec les fruits ? Parce que même si nous ne pouvons plus mûrir au soleil, nous balancer dans le vent et nous déplacer en cagettes climatisées, notre existence reste aussi juteuse que celle d’un fruit. Quand à confits, nous l’étions déjà avant l’arrivée du virus. Confits dans notre petit confort ménager, confits dans nos petites certitudes, confits dans notre approbation tacite du pillage de la nature et d’un avenir en forme de trognon.

Nous voilà donc bouclés à double tour. Soixante-six millions de françaises et de français, sans compter ceux qui se croient plus malins que les autres, soit soixante-six millions de fruits confits, c’est à croire que la conscience du péril a fait plus que les mesures prises par le gouvernement, même si le péril en question est régulièrement remis en question par les esprits forts : -« 98% de rescapés, mais de quoi nous plaignons-nous ? ! « Et bien de cela, justement, de n’être plus que des rescapés… Les chiffres ne sont pas tout, et surtout pas quand ils relativisent une menace invisible. Il faut croire qu’avant de s’introduire dans les corps de quelques-uns, l’ennemi s’était introduit dans l’esprit de tous, mais faut-il le regretter ? Dans la nature, attendre sans bouger est une façon de survivre. Chez les humains, retomber en enfance en est une autre.

Allez, un peu de patience : nous reprendrons bientôt notre vie d’avant et ça ne sera pas plus douloureux que de grandir et vieillir…