Philippe COUSIN / Artiste – 32ème jour

Je ne me souviens plus du monde d’avant.

Le bilan est terrible. Il y a eu 20 000 morts en France depuis le déclenchement de l’épidémie de Covid 19, et ce n’est pas terminé. Un confinement rigoureux a permis de contenir la contamination mais seulement 6% des français ont été infectés et la majorité de la population ne sera donc pas immunisée.

L’autre problème, c’est le déconfinement : on parle de plus en plus du lundi 11 Mai, mais les écoles, les entreprises et les entreprises de transports pourront-elles faire appliquer les mesures d’éloignement préconisées par le gouvernement ? Ce sera un vrai coup de poker.

Il a été question, un temps, d’obliger les séniors à rester chez eux mais ils sont tous montés au créneau, les bougres ! Ils entendent bien profiter, eux aussi, du monde merveilleux d’après la pandémie, mais j’y regarderais à deux fois si j’étais à leur place : le monde d’avant était dur et injuste, certes, il n’avait pas pitié des petits et les puissants le saccageaient à l’envi mais nous avons grandi dedans et il nous manquera.

Nous avons déjà commencé à oublier tout ce qui faisait son charme. Je ne me souviens pas, par exemple, si la Dyna Panhard avait le volant à l’arrière ou à l’avant, tellement les deux côtés étaient pareils. Je ne souviens pas si c’est Brejnev qui a mis sa langue dans la bouche d’Honecker ou si c’est le contraire. Je ne me souviens pas du numéro d‘immatriculation de la première voiture de mes parents -ah si, 148 AK 60. Je ne me souviens pas dans quel sens tournaient les bombardiers atomiques, au-dessus du pôle Nord, et je ne me souviens pas si Tshombé était le gentil ou le méchant dans la guerre du Biafra (mais je me souviens très bien de son prénom, par contre, c’était Moïse). Je ne me souviens pas si Mimoun était un mime ou un coureur à pied, mais bon, c’est loin. Je ne me souviens pas si les Mosquitos anglais de la dernière guerre mondiale étaient construits en bois (avec des clous ?), je ne me souviens pas si Boris Day était blonde ou blonde et je ne me souviens pas à quoi servait le Plan -à faire des plans, probablement.

Alors que dans le monde de demain, on ne sortira plus sans un groin en papier sur le nez -bonjour la séduction !- on ne serrera plus la main du voisin qu’avec de longues pincettes et on retiendra sa respiration chaque fois qu’on mettra le pied dehors. On ira tous en vacances dans la Creuse -c’est très joli, la Creuse- on prendra des trains, des métros et des autobus divisés en compartiments étanches, comme les bacs à glaçons, et surtout, on se posera tous les jours cette angoissante question : si chacune et chacun est devenu une menace pour l’autre, comment allons-nous perpétuer le genre humain ?

J’ai la réponse : EST-CE BIEN NECESSAIRE ?