Philippe COUSIN / Artiste – 9ème jour

Ce que l’Histoire enseigne aux fruits confits

Nous voilà arrivés aujourd’hui au 9 ème jour du confinement. Personnellement, je tiens encore le coup, mais ça commence à grincer de partout – ma tête, mes os, mes articulations, mes gambettes, alouette… Alors je raisonne. Je compare. Quand ma mère s’est retrouvée toute seule avec mon grand frère Marcel, au mois de Mai 1940, elle avait 26 ans. Son mari avait été fait prisonnier dans les Ardennes quelques jours plus tôt et elle ne savait pas s’il était toujours vivant. Le seul sur lequel elle pouvait s’appuyer, c’était son père, mon grand-père Eugène, qui vivait à soixante kilomètres de là. Et donc, pendant quatre ans, le vieil homme a fait l’aller-retour Compiègne-Breteuil en vélo, deux fois par semaine, pour la ravitailler.  Ils ont tenu quatre ans comme cela, tous les trois. Pas neuf jours comme nous, quatre ans ! J’en parle souvent avec mon fils, au téléphone: nous sommes issus d’une génération forgée dans le fer et le sang, et s’il faut nous glisser dans ses habits encore raides de souffrance, et bien, nous le ferons.

Ce qui nous arrive aujourd’hui n’est à proprement parler pas une vraie guerre, avec ses cortèges de morts et de blessés, sa litanie de haine et de terreur et ses immenses dégâts matériels, c’est néanmoins une épreuve inouïe. Nous tiendrons. Il n’est pas question de reculer devant ce gangster lilliputien avec ses crochets à la con.  Même s’il démolit toute notre économie, rien n’est perdu: il nous restera toujours la musique, la littérature et le théâtre. Mais aussi les Arts de la rue, la philosophie et la peinture. Et encore la Sculpture, le dessin,  le cinéma, les plaisirs de la table et  la pétanque… Notre vision matérialiste du Bonheur  -« tout, tout de suite, et je vais même finir le plat »-  ce n‘était jamais que le crédo d’une société imbécile et irresponsable : changeons-là ! Faisons en sorte qu’une fois la pandémie jugulée (elle le sera tôt ou tard), nous bâtissions une nouvelle société  qui ne succombera pas, une fois de plus, à la consommation à outrance, aux plaisirs factices et à  l’agitation perpétuelle …

Vaste ambition, je sais. Mesdames et Messieurs les Artistes, ouvrez le feu !

PhC